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La vie en confinement

Enquêter sur un événement historique exceptionnel : objectifs et premiers résultats

Par l’équipe* de l’enquête VICO, mardi 12 mai 2020

Vous trouverez ci-dessous une présentation courte et très synthétique sur les objectifs de l’enquête « La vie en confinement » (VICO) réalisée en avril-mai 2020, ainsi que sur son déroulement, la diffusion du questionnaire et ses premiers résultats.

 

 

Pour plus d’informations sur le mode de collecte et d’administration de l’enquête, ainsi que sur les caractéristiques de l’échantillon et sur les premiers résultats, nous vous invitons à consulter une version plus longue de cette présentation. 

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Lire une présentation plus détaillée de cette enquête au format PDF

Nous traversons une situation de crise sanitaire et sociale mondiale, marquée par une obligation de confinement qui a interdit ou très fortement limité les déplacements, les activités (de travail comme de loisirs) et les contacts qui remplissaient nos vies ordinaires. Dans cette situation inédite, comment nos conditions de vie, nos relations interpersonnelles et les formes de solidarité qu’elles organisent ont-elles évolué ?

Pour répondre à cette question, une équipe de douze chercheurs de plusieurs laboratoires du CNRS a réalisé une grande enquête nationale. Deux voies principales de diffusion du questionnaire ont été utilisées. Une centaine de chercheurs et enseignants-chercheurs, répartis sur tout le territoire, ont demandé à leurs étudiants de le relayer auprès de leurs connaissances. Et une vingtaine de titres de presse quotidienne régionale l’ont diffusé via leurs sites internet. Ce relais médiatique a contribué non seulement à toucher un très grand nombre de personnes, mais aussi à « couvrir » correctement l’ensemble du territoire.

Dans sa phase de collecte, qui s’achève avec le début du « déconfinement », cette enquête intitulée « La vie en confinement » (VICO) a duré presque un mois. Plus de 16 000 personnes ont pris de leur temps pour répondre en ligne à ce questionnaire. Qu’elles en soient ici vivement remerciées !

Produire des connaissances sur un événement historique exceptionnel

L’enquête VICO a été lancée, dans le temps même de l’événement, pour mieux comprendre les multiples conséquences de la pandémie Covid-19 sur la vie des personnes résidant en France. Son objectif est de produire un savoir et de documenter, pour l’avenir, la gigantesque crise que nous traversons. Au-delà des analyses scientifiques de moyen terme dont elles seront le socle, les données produites sont aussi une archive versée au dossier d’un phénomène historique que les historiens comme les citoyens pourront consulter plus tard. 

Dans un contexte saturé d’informations, de discours et de commentaires de toutes sortes, un contexte où se multiplient les sondages commandités par les gouvernants ou des entreprises privées, il est utile d’apporter le regard d’une enquête en sciences sociales qui n’a d’autre objectif que la production d’un savoir raisonné sur l’événement.

L’enquête VICO a donc pour objectif central de produire des connaissances sociologiques à propos de l’une des conséquences majeures de la pandémie, à savoir l’obligation de rester chez soi. Cette situation a au moins trois caractéristiques majeures :

  1. Le confinement représente un remarquable observatoire des inégalités dans la société française. Il touche potentiellement tout le monde, mais il est susceptible pourtant d’être vécu de façons très différentes et de révéler de profondes inégalités sociales. Le questionnaire de l’enquête VICO a ainsi d’abord recueilli des informations très concrètes sur les conditions de logement, les situations vis-à-vis du travail et les activités quotidiennes des répondants, en les interrogeant chaque fois sur leur situation avant et pendant le confinement. 

  2. Le confinement interroge nos rapports aux autorités et notre obéissance à l’État. En quelques heures, le gouvernement a obtenu de l’ensemble de la société qu’elle accepte de s’enfermer et de renoncer à son droit de circuler librement. Bien sûr, peurs de la maladie et du gendarme ont joué, mais on ne saurait réduire l’immense consentement auquel on a assisté à ces seuls éléments. L’ensemble de ce qu’on peut appeler la « police » du confinement constitue le deuxième axe du questionnaire. Là encore, les différences sociales vis-à-vis de l’acceptation des règles et de leur contrôle vont être particulièrement scrutées : rares sont en effet les occasions comme celles-ci où les plus favorisés de membres d’une société doivent, comme les autres, accepter de restreindre leurs mouvements.

  3. Le confinement questionne nos relations sociales et ce qui fait le ciment des solidarités ordinaires. Il constitue une occasion hors norme de réfléchir aux conséquences de cette crise sur les formes de rencontre, de solidarité et de cohésion sociale. De nouvelles inégalités émergent-elles, liées aux capacités à obtenir de l’aide ou à s’appuyer sur des relations préexistantes face aux difficultés ? Quelles relations personnelles sont renforcées, lesquelles se dégradent, et pourquoi ? Que nous disent ces changements sur nos liens sociaux ?

 

Qui a répondu à l’enquête ?

En termes quantitatifs, la combinaison des différents modes de diffusion de l’enquête (par les réseaux de connaissance et par la presse quotidienne régionale) a été une vraie réussite puisque plus de 16 000 personnes ont rempli l’intégralité du questionnaire. La taille de l’échantillon ainsi obtenu est donc particulièrement élevée, bien plus que celle des échantillons des sondages d’opinion dont les médias sont friands (un millier de personnes le plus souvent).

La médaille a bien sûr son revers. La diffusion en ligne de l’enquête a permis de recueillir un très grand nombre de réponses, mais elle a aussi produit ce que l’on appelle des « biais d’échantillonnage ». Cela signifie que sur un certain nombre de critères, les caractéristiques des personnes qui ont répondu à l’enquête diffèrent significativement de celles de l’ensemble de la population à laquelle elles appartiennent. Ces écarts par rapport à la population nationale concernent principalement quatre variables : le sexe, l’âge, le niveau de diplôme et le milieu social. L’échantillon de l’enquête VICO est ainsi plus féminin, plus âgé, plus diplômé et moins ouvrier que la population résidant en France. Si l’échantillon de l’enquête est biaisé du point de vue socio-démographique, il l’est en revanche un peu moins du point de vue géographique : on note seulement une légère sur-représentation de certaines régions (voir Figure 1).

Figure 1. Nombre de répondants pour 100 000 habitants, en fonction du département

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Sources : Enquête VICO, 2020, et INSEE, estimation de la population au 1er janvier 2020 (https://www.insee.fr/fr/statistiques/1893198).

Champ : Personnes résidant habituellement en France et âgées de 18 ans ou plus (N = 16 228).

Lectures : Sur 100 000 habitants du Finistère, il y en a 71 qui ont répondu à l’enquête VICO.

 

 

Avant la représentativité, la diversité

Il n’est par conséquent pas encore possible de considérer l’échantillon de VICO comme « représentatif » de la population française. C’est l’un des enjeux du travail des chercheurs dans les prochaines semaines, que de  « redresser » ces biais avant de commencer à analyser les résultats de l’enquête, en utilisant les techniques de « pondération » qui sont habituelles dans ce genre de recherches. 

Mais pour l’instant nous pouvons déjà avoir un premier aperçu saisissant de l’immense variété des conditions de confinement. Presque 4 000 enquêtés (soit un quart d’entre eux) ont utilisé l’espace de commentaire libre proposé à la fin du questionnaire. On y découvre d’un côté des gens souvent heureux d’avoir arrêté le travail ou de travailler à distance, à qui le confinement « fait du bien », pour reprendre une expression récurrente dans ces commentaires. Ceux-là ont souvent conscience d’être « privilégiés », comme ils l’écrivent aussi très souvent. De l’autre côté sont exposées des précarités et des inquiétudes professionnelles et financières fortes, des conditions matérielles et sociales de confinement très difficiles à supporter, et aussi des situations individuelles de profonde détresse psychologique. On retrouve le même type d’oppositions à propos des jugements portés sur les règles de confinement et la gestion gouvernementale de la crise : d’un côté un pôle de commentaires marqués par le « respect » (terme qui lui aussi revient souvent) des contraintes, de l’autre par leur remise en cause.

"Ce temps est pour nous, pour moi, une vraie bénédiction, enfin du temps pour faire tout ce qui n’a pas de place ordinairement! où tout est donné au travail (que j’aime donc tout y passe!) enfin une raison de rester coincée à la maison mais quel bonheur !" 

Femme, 56 ans, orthophoniste, Poitou-Charentes, jeudi 23 avril. 

"Dans mon immeuble situé en centre ville, il y a pas mal de personnes âgées. Certains couples jeunes. Le confinement les rend fous, il y a actuellement beaucoup de tensions, de cris de violences sur les femmes, j’appelle souvent le 17 qui heureusement se déplace très rapidement (...) mais je suis fatiguée de voir, d’entendre les bruits de plus en plus fort dans mon immeuble jour et nuit ça fait péter un câble."

Femme, 52 ans, ouvrière en usine, Île-de-France, samedi 18 avril.

En matière d’évolution des relations, c’est également un certain contraste qui semble régner. Plus de la moitié des enquêtés (58%) déclarent avoir augmenté leurs échanges avec leur famille depuis le début du confinement (voir Figure 2), et 36% avec leurs amis.

 

Figure 2. Évolution de la fréquence des contacts avec la famille

Source : Enquête VICO, avril-mai 2020.

Champ : Personnes résidant habituellement en France et âgée de 18 ans ou plus (N = 16 228).

Lecture : 52% des hommes ont déclaré être plus souvent en contact avec les membres de leur famille ou ceux de leur conjoint qu’à l’habitude (par téléphone, par messages ou face à face).

 

 

Mais cela concerne plus souvent les cadres, les femmes, et les personnes de plus de 45 ans. En revanche, pour les plus jeunes, qui habituellement ont le plus d’échanges avec des amis, le confinement a eu l’effet inverse : c’est parmi eux qu'il y a en proportion le plus de personnes disant avoir diminué leurs contacts amicaux (voir Figure 3). Entre ces deux opposés, il y a ceux qui déclarent qu'il n'y a pas de changement dans leurs interactions : ce sont davantage les ouvriers, les agriculteurs, les employés et en particulier les employés de commerce ou de service qui ont plus que les autres continué de travailler en dehors de chez eux pendant le confinement.

Figure 3. Évolution de la fréquence des contacts avec les amis

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Source : Enquête VICO, avril-mai 2020.

Champ : Personnes résidant habituellement en France et âgées de 18 ans ou plus (N = 16 228).

Lecture : 32% des hommes ont déclaré être plus souvent en contact avec avec leurs amis ou ceux de leur conjoint qu’à l’habitude (par téléphone, par messages ou face à face).

 

Nous demandions ensuite : « En dehors des personnes qui sont confinées avec vous, de qui vous vous êtes rapproché ou contactez-vous plus fréquemment depuis le confinement ? ». Les enquêtés ont cité en moyenne un peu moins de 3 personnes. Les femmes citent plus de noms que les hommes, ceux-ci étant également plus nombreux, avec les ouvriers et les personnes sans diplôme, à ne citer aucune relation renforcée en temps de confinement. Le nombre moyen de noms s’accroît avec l’âge. Ce sont les relations familiales qui ont été le plus nettement renforcées et contactées en temps de confinement. Ensuite viennent les amis, puis plus loin les collègues, les voisins et des connaissances diverses. Les femmes ont des scores plus importants dans presque toutes les catégories de relations. Les jeunes citent plus souvent des amis et moins souvent la famille proche, les plus âgés citent plus des voisins.

Au total, ce sont donc les femmes qui se révèlent comme les grandes « communicantes »  du confinement : elles développent leurs contacts de façon générale et citent plus de liens renforcés dans tous les registres relationnels. Les catégories professionnelles supérieures ont aussi davantage déclaré augmenter leurs contacts. L'âge croissant, les interactions sont également plus fréquentes qu’avant le confinement et les renforcements de relations sont plus nombreux. Les changements induits dans les relations avec autrui en situation de crise et de confinement sont donc à la fois importants et marqués par des différences sociales que nous allons explorer plus avant dans les semaines à venir.

Les perspectives : analyser les données et prolonger l’enquête

La très forte diffusion de l’enquête, mais aussi le nombre élevé et la qualité de ces commentaires librement déposés à la fin d’un questionnaire pourtant long témoignent d’un besoin de participer et d’exprimer ses sentiments dans ce contexte exceptionnel. Plus de 5 000 personnes ont même choisi de laisser  leurs coordonnées pour être recontactées et poursuivre le dialogue. 

Celui-ci se poursuivra d’abord à travers la restitution la plus rapide et ouverte possible de nos résultats aux enquêtés et au grand public. Ce processus prend évidemment du temps : des publications en seront issues, qui seront régulièrement déposés ou signalées sur ce site. Mais les membres de l’équipe envisagent aussi des développements futurs de cette recherche, afin notamment de saisir le « monde d’après » : les changements vécus dans la crise correspondent-ils à une adaptation ponctuelle, ou bien seront-ils irréversibles ? Ouvrent-ils de nouvelles manières de vivre concrètement, d’habiter et de travailler, de nouvelles manières d’envisager ses liens à autrui et aux institutions ? Ou bien ces changements seront-ils noyés dans un retour à une vie que beaucoup d’enquêtés, dans leurs commentaires, n’ont pas l’air de trouver si « normale »  que ça ? Nous pourrons alors solliciter à nouveau toutes les personnes qui ont donné leurs contacts, en nous fondant sur la confiance et l’enthousiasme dont elles ont fait preuve par ce geste.

Telles sont les perspectives dessinées au moment de ce premier compte rendu. Elles pourront changer elles aussi, en fonction des réalités concrètes, des discussions dans l’équipe et des idées et ressources qui ressortiront de nos échanges avec nos collègues, nos institutions, et… avec les milliers de personnes qui ont bien voulu donner de leur temps et de leur réflexion pour répondre à nos questions et s’engager avec nous dans cette aventure.

Alors à bientôt !

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*L’équipe de l’enquête VICO est constituée de :

Marie-Pierre Bès, sociologue, LISST, Université Toulouse Jean Jaurès 

Claire Bidart, sociologue, CNRS - LEST, Aix Marseille Université

Adrien Defossez, sociologue, LISST, Université Toulouse Jean Jaurès

Guillaume Favre, sociologue, LISST, Université Toulouse Jean Jaurès

Julien Figeac, sociologue, CNRS - LISST, Université Toulouse Jean Jaurès

Michel Grossetti, sociologue, CNRS - LISST, EHESS, Université Toulouse Jean Jaurès

Lydie Launay, sociologue, LISST, Université Toulouse Jean Jaurès

Nicolas Mariot, sociologue, CNRS - CESSP, EHESS, Université Paris 1

Pierre Mercklé, sociologue, PACTE, Université Grenoble Alpess

Béatrice Milard, sociologue, LISST, Université Toulouse Jean Jaurès

Anton Perdoncin, sociologue, Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS)

Benoit Tudoux, ingénieur, CNRS - Institut des sciences sociales du politique (ISP)

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